Prison pour jeunes délinquants

Voici la première partie de ma nouvelle caricaturale !





Colmar, ville du tourisme et du vin alsacien, cité des colombages, bourg de la beauté bucolique, calme hameau près de la nature. Montez sur quelques buttes des Vosges, et admirez la fière localité qui offre aux regards ses merveilles architecturales : derrière les silhouettes délabrées de quelques tours se dresse l’immense clocher de la collégiale. Et, caché dans l’ombre de ce monument historique subsiste un complexe effroyable, dont nul, par peur, n’ose parler.

Chaque matin on peut apercevoir une file de jeunes hommes et femmes, qui d’un air abattu marchent vers deux lourdes portes métalliques, elles-mêmes complétées par des rangées de pics. C’est dans cette atmosphère effroyable que commence une journée ténébreuse. Deux grandes cours permettent l’accueil et la séparation des individus, triés par taille. C’est dans le groupe des individus de classe B que nous avons rencontré et suivi le spécimen 25A3T. Lorsque le clairon, narguant les pauvres travailleurs quotidiennement, sonne le début de la longue et pénible journée de travail, les silhouettes voûtées partent vers différents bâtiments, tandis que les ombres gigantesques et souvent terrifiantes des contremaîtres se profilent dans l’encadrement des fenêtres. Ils attendent, avec des stylos en main, de pouvoir torturer leurs victimes…

Notre jeune homme avance donc et monte d’un pas lourd les marches qui le mènent aux différents secteurs du complexe. Sa première heure a lieu dans le pôle du CDI, le Centre de Détention des Importuns. Là, trois chefs d’équipe les surveillent : nul ne peut parler. Nul ne doit lancer un regard, aussi bref soit-il, vers l’espoir qu’incarnent la lumière et le ciel bleu, proches d’eux, mais en même temps si éloignés… Et alors les consignes sont données : le spécimen participe à l’appel, fait inscrire son nom, et part accomplir ses tâches. Au milieu des hautes étagères, sur lesquelles trônent des ouvrages traitant d’éducation, de travail, de politique et de mathématiques, 25A3T erre. Ce jour-là, il doit rédiger une thèse au sujet de la polymérisation complexifiée des particules nucléaires. S’il ne finit pas à temps son devoir, l’un des contremaîtres le flagellera et lui donnera le double de travail, en l’obligeant parallèlement à débarrasser les deux cours de tout déchet. Ceux qui ne se courbent pas devant la puissance des autorités subissent leur courroux. Heureusement, 25AT3 a réussi son premier travail et quitte éreinté la pièce à l’atmosphère suffocante. La journée commence à peine.

On s'y reconnait, mais il y a encore tant a dire...

Voici la suite



L’heure suivante se passe dans le bâtiment bleu. Là, un homme à l’aspect machiavélique l’attend, règle en main, une arme qui serait faite pour intimider voire frapper les détenus. 25AT3 a malheureusement deux secondes de retard, et va devoir purger sa peine pour cet acte de rébellion : trois coups lui sont donnés, et il a pour obligation de résoudre quelques problèmes gratinés, sous le regard diabolique de son ravisseur de libertés. Un bruit des autres individus conduit à une rafle : les perturbateurs sont envoyés dans une autre pièce, dans laquelle le CPE, le Coordinateur des Pénitences Exemplaires, se charge de leur cas. Pendant ce temps, 25AT3 termine sa peine et retourne s’asseoir, un sourire aux lèvres, savourant sa réussite. Seulement, sa jubilation est remarquée par le contremaître, et la joie est alors de courte durée : 25AT3 doit retourner subir la souffrance du poignet ainsi que la déshydratation de la peau par la craie. Il en gardera des séquelles irrémédiables.

Mais à l’alerte suivante, le garde s’en va, laissant pendant un instant un peu de répit aux condamnés, qui se jettent vers les fenêtres pour respirer la liberté qu’ils ne côtoient jamais. Ceux qui sont surpris par le chef suivant sont réprimandés et se voient attribués à la plonge dans les cuisines, qui accueillent environs mille personnes à chaque repas. Puis la séance commence. L’heure est consacrée à l’EDF, c’est-à-dire à l’Espace de Dressage de Fauves. Le fouet est remplacé par les feuilles de papier, plus tranchantes que la lame la plus aiguisée. Ceux qui n’obéissent pas aux consignes d’élevage sont envoyés dans des cages aux sous-sols, pour être corrigés. Les autres sont dressés normalement, grâce à un lavage de cerveau. Ils subissent la répétition interminable de quelques mots, quelques idées, afin que leurs actions ne soient dues qu’à ce qui leur a été martelé dans leurs esprits. Ils sont esclaves des maîtres, et seront ensuite marionnettes des idées préconçues de leurs chefs. Leurs instructeurs continuent la séance d’ADN, l’Aménagement Démesuré du Numéro, ce numéro étant celui de l’individu encadré et suivi lors de son traitement.

Un quart d’heure de pause est ensuite offert généreusement par la prison : il est aussi la cause du manque de productivité des prisonniers, mais est obligatoire pour éviter une révolte de la part des instructeurs. Ils sont les seuls à être soignés et choyés par la direction. Pendant ce temps, les individus sont surveillés dans les deux cours : ils ne peuvent ni parler, ni se gratter la tête. C’est la méthode du CRS, Calme-Rectriction-Silence. Quiconque perturbe la quiétude de l’établissement est puni et passible d’un séjour à l’espace ZEN I, l’espace d’un Zest d'Effroi pour la Neutralité de l’Individu. Ainsi, la pause se passe dans le plus religieux des silences.